Grand-Mamie, parle-moi du « Cercle de l’Harmonie ». J’aimerais bien connaître l’origine de ce lieu de rencontre. Je suis déjà passée devant souvent, il se trouve à Aubagne, au 12 Cours Beaumond.
Il existe en Provence, dans pratiquement tous les villages et dans certains quartiers populaires des villes, des « cercles » : lieux de rencontre réservés aux hommes, dans lesquels ils se retrouvaient après une longue journée de travail avant de regagner leur foyer. C’était une coutume d’antan, un moment de détente pour ces travailleurs.
A Aubagne, le « Cercle de l’Harmonie » a été fondé le 31 août 1890, par un groupe de musiciens qui appartenaient jusque-là à la Musique « Sainte-Cécile ». Ils prirent alors le nom de « Réveil musical ». Voilà pourquoi ce cercle s’appelle « Cercle de l’Harmonie ».
Il s’installe au 14 rue de la République, et sa date de fondation officielle est le 28 septembre 1890, pour le 98ème anniversaire de la Première République. Ses origines sont à la fois musicales, politiques et économiques.
Eh bien, Grand-Mamie, cela fait beaucoup de choses ! Et, il y a une partie que je ne comprends pas très bien. Les origines musicales, OK, ce sont des musiciens qui l’ont fondé. Mais politiques et économiques, pourquoi ?
Je vais essayer d’être claire pour t’expliquer cela simplement et rapidement. Faisons un peu d’histoire !
Les origines politiques: les élections législatives de mai 1889 avaient été marquées dans la 5ème circonscription de Marseille - à laquelle Aubagne était rattachée - par des affrontements très violents entre la droite (la « réaction ») et la gauche (les « républicains-socialistes »). Antide BOYER, républicain-socialiste, député sortant, avait comme concurrent un redoutable adversaire, M. GUAIRARD, redoutable non pas tant par sa valeur personnelle que par sa situation sociale. Le capitaliste GUAIRARD fut terrassé par le socialiste Antide BOYER. Les élections passées, les fervents démocrates de notre ville estimèrent que, pour empêcher le retour offensif et dangereux de la « réaction », il y avait lieu de se grouper fortement pour faire face, le cas échéant, à toute éventualité.
Les origines économiques : à ce groupement, pour ainsi dire moral, qui aurait pu simplement revêtir la forme d’un groupe de défense républicaine et d’études sociales, ils préférèrent donner la forme de Cercle et de Coopérative de consommation, ce qui permettrait à ses membres de venir tous les jours rencontrer leurs amis, autour d’un verre ou d’une partie de cartes, sans être astreints à de trop onéreuses dépenses personnelles.
Grand-Mamie, tu m’apprends que « l’union fait la force » et que la fraternité et le partage sont une seconde « force » de l’être humain.
La première Assemblée générale eut lieu le 31 août 1890. Deux cent cinquante-trois membres fondateurs ont donné quelques francs or en paiement de leur cotisation.
Le président est M. Eugène BEALLET, agent de la Compagnie PLM (Chemins de fer Paris – Lyon – Marseille).Tu vois, ma chérie, mon arrière-grand-père était parmi ces 253 membres fondateurs. Il se nommait Marius ESPANET, dit « Turco » (il avait fait son service militaire dans un régiment de spahis) et il était tonnelier.
Merci, Grand-Mamie, pour toutes ces explications. J’ai bien compris le sens du mot « Cercle ». Alors, comme cela, un de mes ancêtres était parmi les fondateurs de cet établissement ! Et, son fils, ton grand-père, a œuvré au sein de ce lieu emblématique jusqu’à sa mort, tu m’as dit en 1969 ? Il était donc mon arrière – arrière – arrière – grand-père ? Six générations nous séparent ! Et, ce Cercle existe encore de nos jours !!!
Eh oui ! Après la rue de la République, il va s’installer au 12 Cours Beaumond en 1899 ; et il y est encore ! Donc, le 4 septembre 1899, « Le Cercle de l’Harmonie » s’installe au 12 Cours Beaumond en location, puis il achètera tout l’immeuble après la guerre, en 1920. Depuis 1890, le Cercle œuvre pour le développement de l’instruction du peuple : il a développé une bibliothèque, la musique, le théâtre, la gymnastique, les cours pour adultes, les œuvres de bienfaisance, les fêtes de charité, l’aide aux nécessiteux et la caisse de secours. Il est le ralliement du prolétariat aubagnais. Puis les années ont passé, d’autres activités ont remplacé les plus anciennes : au XXème siècle, apparaissent des concours de boules, le cyclisme, le football, la natation. Mais, le même esprit de fraternité, de solidarité et de partage anime encore ce groupement aubagnais.
Grand-Mamie, tu pourras m’emmener un jour à un concert ou voir une pièce de théâtre ? Car, j’aimerais bien connaître ce « Cercle de l’Harmonie » ouvert à tous, comme tu me l’as bien expliqué.
C’est promis. Vois-tu, moi aussi, j’aurais grand plaisir à y retourner. La dernière fois que j’y suis allée, c’était en 1948 pour un bal costumé où j’avais revêtu un très beau costume de chinoise et j’avais 17 ans ! Bien sûr, ma Maman m’avait accompagnée, car, à l’époque, les jeunes filles ne sortaient pas seules !!!
Eliane pour les J&G
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